La prévention de la santé mentale dans le Code du Travail – un changement de paradigme urgent

L’obligation légale de l’employeur consistant à prendre toutes les mesures propres à préserver la sécurité et la santé physique et mentale de ses salariés (Code du Travail article L. 4121-1) implique le devoir de prévenir des risques psychosociaux (RPS) dans l’entreprise, caractérisés en six facteurs d’analyse tels que définis par l’INRS. Cette obligation requiert la mise en place de mesures de prévention combattant « les risques à leurs sources », et tenant compte de tout changement de circonstances.

Le bousculement des organisations de travail, à commencer par la modification du sacro-saint repère du lieu de travail, soulève les questions suivantes en matière de prévention : Quels sont les risques aujourd’hui en matière de santé ? Quelles en sont les sources ? Des mesures suffisantes et adéquates ont-elles été prises ? Quelles conséquences cela génère au sein de mon entreprise ?

En vertu de cette obligation, les employeurs sont de fait directement et personnellement responsables de la protection de la santé de leurs collaborateurs.

 

Pourtant, nombreux sont ceux qui n’ont pas encore pris conscience de l’étendue de cette responsabilité. Les sources de risques étant d’origines multifactorielles, on observe qu’en pratique les employeurs ne parviennent pas à saisir cette complexité, et que le sujet de la santé au travail n’est pas encore intégré comme un sujet de gouvernance.

L’état actuel de la jurisprudence en matière d’obligation de sécurité et de prévention induit, depuis l’arrêt Air France de 2015 (Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444), une obligation de moyens renforcée, en lieu et place de l’obligation de résultat qui prévalait jusqu’alors. Aujourd’hui, les juges – pour apprécier le manquement ou non à l’obligation – étudient les mesures prises par l’employeur en matière de prévention (Cass. Soc.,17 février 2021, n°19-18149 concernant des faits de harcèlement sexuel), leur réalité, leur étendue et la transmission aux salariés de l’information sur les préconisations faites (Cass. Soc., 2ème chambre civile, 18 février 2021 n°19-23871).

Ainsi, l’entreprise proactive en matière de sécurité et de prévention à l’égard de ses employés serait mieux protégée devant les tribunaux et se verrait exonérée de sa responsabilité en cas de dommages. Cela rétablirait une certaine justice selon l’engagement de chaque entreprise et des moyens alloués, et enfin permettrait l’espoir de voir d’une part se développer des cultures et des comportements pour le bien de tous (employeurs & employés), et d’autre part de générer des impacts positifs sur le bon fonctionnement de l’entreprise, et donc de ses performances.

L’obligation de l’employeur désigne une prévention générale de la santé, et ne distingue pas une santé liée au travail d’une santé « privée ». D’ailleurs, comment définir avec assurance qu’une problématique est d’origine personnelle ou professionnelle, compte tenu du nombre croissant d’interconnexions de ces sphères de vie sur une journée ? Comment agir en prévention à l’heure d’un travail massivement exporté au domicile des employés et comment prendre en charge ces interfaces de vie ?

Obligation de prévention de la santé mentale – voici trois surprises !

Première surprise : Un problème privé influence directement en temps réel la performance du travailleur.
Qu’il y a-t-il en dehors de la vie au travail et de ses RPS ? C’est la vie privée de l’employé.
L’ensemble des charges mentales trouvant leur origine dans la vie privée contribuent directement à l’augmentation des RPS, à l’apparition de troubles mentaux, et sont donc propres à mettre en péril la santé et la performance de l’employé au travail.
Le Code du Travail fait mention des sources de risques professionnels, mais force est de constater que les sphères de vie professionnelles et privée sont inter dynamiques, indissociables, et par conséquent, il convient de considérer les sources de risques dans une approche de « santé globale ».

Deuxième surprise : En période de télétravail généralisé, les limites théoriques des sphères de vie privée et professionnelle s’éliminent radicalement pour ne former qu’un seul et unique environnement.
Il en résulte qu’un souci personnel ou une situation familiale non résolue – « quelle solution faut-il envisager pour mes parents âgés et malades ? » ou « comment ma séparation va-t-elle se dérouler ? » – ne peut être suspendu le matin au vestiaire de l’entreprise, ou à celui du domicile, mais est emporté directement dans la sphère professionnelle et préoccupe l’employé pendant ses heures de travail – et vice-versa. L’effet garanti est que l’engagement, la concentration, la motivation et la réalisation même des tâches, ce qui fonde la performance de l’employé au travail, sont immédiatement touchés d’une manière négative et répétitive.

L’augmentation de l’absentéisme et la multiplication de micro arrêts de travail sont des troubles bien connus et à considérer au sein des entreprises comme indicateurs d’alerte et de coûts financiers.

Est-ce que ces risques et coûts induits peuvent être négligés ? « Non, définitivement pas » penserez-vous, bien que ce soit globalement l’usage aujourd’hui.

Voici la troisième surprise : 67% (*) des sujets qui préoccupent les salariés français pendant leurs heures de travail trouvent leurs causes originelles dans leur sphère privée.
On s’aperçoit que l’approche classique selon laquelle la prévention de la santé mentale qui a pour socle les RPS, au sens des problématiques uniquement liées à l’employé dans son environnement professionnel, est fondamentalement non stratégique, car elle exclut ainsi la plus grande source d’effets négatifs sur la santé mentale.

Si la santé mentale est singulière, les sources de troubles psychologiques sont plurielles. Si l’employeur est débiteur d’une obligation de moyens renforcée envers ses employés et qu’il veille à l’adaptation de mesures engagées, les 67% des troubles issus de la vie privée doivent être pris en compte pour que l’employeur puisse faire preuve d’une prévention la plus efficace possible.

Une prévention exclusive aux facteurs de troubles psychosociaux présents dans la vie professionnelle expose davantage l’employeur au risque de ne pas répondre aux exigences de l’obligation prévues par le Code du Travail.

Alors que faut-il faire pour protéger les employés, se protéger en tant qu’employeur, et atteindre de meilleurs résultats ?

En matière de prévention de la santé au travail, la tendance au gRHeenwashing a vu naître ces dernières années des offres en marketing du bien-être des collaborateurs. Au choix, vous préférez un concept hédonique moderne et universel visant le bonheur au travail pour tous, ou une autre approche cosmétique qui remplace « RPS » par « QVT » (Qualité de Vie au Travail), soustrayant ainsi à un acronyme ses éléments de ressenti négatif (risques) pour un autre acronyme basé sur une promesse positive (qualité) ?

Aucune de ces approches ne pourrait prétendre être une réponse de fond aux troubles systémiques des entreprises tels que la modification des conditions de travail, le désengagement des collaborateurs, la recherche de sens, l’isolement social… lesquels engendrent des pertes de performances trop souvent sous-estimées.

L’approche en tant que solution doit être globale, multidimensionnelle, et appropriée aux sources de tous les facteurs de troubles et de risques.

Inclure autant que possible les 100% des sources de troubles à l’origine de baisses de performances est automatiquement un choix gagnant – gagnant.
Même si la culture française tend à séparer les sphères de la vie moderne, la santé mentale ne peut pas être divisée en tranches !
Il apparait dès lors complètement inapproprié de la part d’un employeur de négliger, dans l’exécution de son devoir de prévention, 67% de ces sources de troubles.
Les tribunaux français vont sans doute en faire une exigence dans le futur. Oui, c’est un changement de paradigme dans la pensée mais aussi dans l’obligation. Il est dorénavant nécessaire que les employeurs fassent preuve d’une prévention tous azimuts : de la vie au travail mais aussi d’autres sources de risques. Il n’y a qu’une seule santé mentale !

ICAS France connait le service de prévention global qui produit les effets d’une stratégie gagnant – gagnant. Au bénéfice de la réponse à l’obligation de prévention de la santé des salariés, et de la performance au travail.

C’est un changement de paradigme sans surprise.

Benjamin SAVIARD, Directeur ICAS FRANCE

(*) Mesuré en France en 2020 parmi 16’554 employés qui ont eu accès à un service d’assistance et de prévention tout azimut (en anglais : Employee Assistance Program EAP). Ce chiffre est comparable à l’Allemagne, la Belgique et la Suisse.

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