Harcèlement au travail et Prévention de la santé mentale

Interview avec Benjamin SAVIARD, Directeur de LYRA France (10 décembre 2024).

Question : Monsieur SAVIARD, bonjour. Il y a de nombreuses publications qui traitent le sujet du harcèlement moral ou sexuel au travail, et de la généralisation d’enquêtes réalisées au sein des organisations de travail. Quel regard LYRA France porte sur ce sujet ?

Benjamin : En France, si nous nous penchons quelques instants sur les affaires très médiatisées de suspicion de harcèlement et d’affaires avérées jugées comme telles, nous parlons majoritairement du harcèlement dans un cadre professionnel. Nous observons aussi pour certains cas dans le quotidien de nos actifs, et il faut le dire, que le harcèlement est mentionné à tort et à travers, car sans aucune notion des textes de lois qui le définissent. Et c’est sans compter les situations d’instrumentalisation des processus d’alerte en place dans l’entreprise par les différentes parties (harceleur, harcelé-e, directions, CSE) qui visent des objectifs précis derrière de fausses déclarations.

J’invite donc chacun-e à une lecture ; cf. Harcèlement moral Art. 222-33.2 du Code Pénal et Art. L1152-1 à 6 du Code du travail, cf. harcèlement sexuel Art. 222-32 et 222-33 du Code pénal et Art. L1153-1 à L1153-6 du Code du travail.

Question : Merci ! Pensez-vous que la prise de conscience du phénomène dans notre société favorise la bonne prise en charge du harcèlement dans les entreprises ?

Benjamin : Oui, en principe oui, mais – et il y a un important « mais » – qui guide l’approche spécifique de LYRA France en matière de harcèlement et de soutien conseil.

Q : Ok, alors pouvez-vous nous l’expliquer ?

Benjamin : Je veux adresser trois aspects déterminants concernant la prévention de la santé mentale en matière de harcèlement. Le premier aspect provient de l’ADN même de nos services d’aide aux employés (EAP – Employee Assistance Program) : si une souffrance est le résultat d’une situation difficile, quelles qu’en soient les caractéristiques, LYRA France accompagne et soutient l’employé-e dans sa situation pour rétablir un équilibre et apporter un mieux-être. Parfois il y a une réelle situation de harcèlement qui n’est pas perçue comme telle par la victime et qui ne mène pas à une souffrance, mais il y a aussi des situations qui ne relèvent pas du harcèlement par définition (psychologique et juridique), comme par exemple un conflit relationnel au travail, et qui produisent un fort impact comme le stress, l’anxiété ou la dépression. Donc LYRA France ne va pas en premier lieu prioriser la mise en place d’une enquête pour clarifier la situation et définir s’il s’agit de harcèlement imaginaire, perçu ou réel, mais va offrir tout le soutien nécessaire à la personne qui vit des troubles de la santé et qui en a besoin. Ce soutien est organisé dans l’immédiat.

Q : C’est-à-dire que vous partez du résultat produit par une situation impactant la santé mentale, et non en premier lieu de l’analyse de la qualification du cas pour savoir si c’est une réelle situation de harcèlement ou non. C’est donc une prise en charge de la santé mentale pour toutes les situations que vous préconisez chez Lyra ?

Benjamin : Oui, tout à fait. Voici le deuxième aspect, cela ne s’arrête pas à ça. Nos statistiques nous montrent que le harcèlement vécu dans la vie privée existe aussi et est même plus répandu que nous le pensions. Le lien entre la vie privée et le monde du travail provoque des situations à gérer au plus tôt : prenez par exemple une collaboratrice qui subit un réel harcèlement dans sa vie privée et qui perçoit un conflit relationnel au travail comme du harcèlement. C’est la raison pour laquelle nous ne partons pas uniquement des définitions juridiques du harcèlement moral ou sexuel pour définir notre accompagnement en matière de soutien.

C’est donc ce deuxième aspect qui forme notre approche à ce sujet : que le harcèlement soit réel ou perçu, qu’il trouve son origine dans la vie professionnelle ou dans la vie privée, ce n’est pas la question primordiale, mais c’est bien l’approche holistique et de nouveau l’existence d’une souffrance individuelle qui priment. Il existe des services d’aide qui se concentrent uniquement sur le traitement des déclenchements d’alertes pour suspicion de harcèlement en milieu professionnel ; ils ne traitent par conséquent qu’un côté réduit du sujet. Limiter ainsi la portée de l’accompagnement revient alors à fermer un œil sur des troubles qui portent de lourdes conséquences humaines et financières au sein de l’entreprise. C’est comme si l’entreprise s’achetait une garantie de baisses de performances ! À l’opposé de LYRA qui définit une approche globale et intègre l’ensemble des services destinés à protéger toutes les performances du premier capital de l’entreprise: l’humain.

Q : J’ai compris. Alors dans le cas d’une situation de harcèlement (moral ou sexuel) au travail, comment agissez-vous ?

Benjamin : Le troisième aspect alors est de déterminer, sur la base des éléments qui nous sont communiqués, la nature du harcèlement ainsi que les troubles que cela provoque. Les textes de lois nous aident dans ce sens. Notre expérience démontre que le phénomène du harcèlement perçu arrive beaucoup plus souvent que le véritable harcèlement passible de sanctions aux yeux de la loi. Nous observons ainsi des cas de méconnaissance des déterminants qui caractérisent un harcèlement et cela laisse place à l’expression d’un ressenti : « Je suis harcelé-e ». Comme toutes les fois qu’un collaborateur exprime sa lourde charge ou sa fatigue, en lâchant un « Je suis en burnout » ; l’expression du harcèlement revêt bien des surprises parfois. Dans tous les cas, il nous faut délivrer un soutien immédiat et adapté.

Q : Très bien, mais maintenant que faut-il faire dans une véritable situation de harcèlement au travail. Que fait Lyra dans ce cas ? Que faire avec l’harceleur-euse présumé-e et sa victime ?

Benjamin : Il s’agit en priorité de protéger la personne harcelée, de sécuriser les conditions de travail et la santé mentale de tous les acteurs et témoins ; voilà ce qui est indispensable. Lorsque la situation devient connue au sein de l’organisation, elle peut avoir tendance à se retourner contre l’employé-e plutôt que de l’aider. C’est aussi la raison pour laquelle des enquêtes pour des situations de harcèlement présumées ne sont pas une fin en soi. Dans le cadre des enquêtes réalisées par LYRA France, l’expérience démontre que les résultats peuvent être décevants et que les rumeurs négatives causées par l’enquête sont considérables au sein de l’organisation. Toutes les situations sont individuelles et différentes les unes des autres, notre réponse est donc à construire sur mesure.

Q : Que dire des impacts collectifs qu’une situation de harcèlement provoque ?

Benjamin : L’organisation ou une équipe souffre aussi en cas de harcèlement – avec ou sans enquête déclenchée. Toutes les situations de harcèlement comprennent normalement harceleur-se(s), victime(s), collègues témoins et observateurs silencieux. Apparait alors un triangle relationnel dans lequel les rôles suivants s’intervertissent : bourreau – victime – sauveur. C’est ce que nous appelons en analyse transactionnelle le triangle dramatique de Karpman, et ces situations sont très clairement toxiques pour les individus et pour l’organisation.

C’est en travaillant sur les deux niveaux, la relation individuelle entre harceleur et harcelé et le niveau organisationnel que LYRA, au travers de ses 38 années d’intervention en prévention de la santé mentale, a gagné beaucoup d’expérience avec des procédures éprouvées orientées solutions en matière de réponse face à tout type de situations de harcèlement au travail.

Q : Merci d’avoir mis en avant ces aspects très humains dans l’approche de LYRA et la perspective plus large du sujet du harcèlement au travail au plan individuel et collectif.